Contexte et objectif de l’étude
Le marché européen du gaz naturel est sous tension depuis un an dans le contexte de la reprise économique post-covidienne et, dernièrement, de la guerre en Ukraine. Cela a donné lieu à une prise de conscience croissante de la nécessité pour l’Europe de réduire sa dépendance à l’égard des importations de gaz naturel, en particulier en provenance de Russie. En effet, les 155 milliards de m3 de gaz naturel importés de Russie représentaient environ 45 % des importations de gaz de l’UE en 2021 et près de 40 % de sa consommation totale de gaz[1]. S’il s’agit d’un défi majeur, il représente également une opportunité d’accélérer la transition climatique vers un système énergétique plus efficace, alimenté par des énergies plus propres.
Dans ce contexte, la Fondation européenne pour le climat a demandé à Climact de
- Identifier les points chauds de la consommation de gaz naturel dans l’industrie de l’UE
- Étudier pour ces points chauds les meilleures alternatives au gaz naturel à court terme, c’est-à-dire celles qui permettent de réduire rapidement et de manière significative la consommation de gaz naturel, que ce soit par un changement de processus, une efficacité énergétique ou un changement de combustible.
- Évaluer les coûts et les avantages de ces alternatives
Les parties (i) et (ii) ont été abordées dans un article précédent, dans lequel quatre secteurs industriels ont été identifiés qui représentent collectivement les deux tiers de la demande de gaz naturel de l’industrie de l’UE : le secteur chimique (le gaz naturel comme vecteur énergétique et comme matière première), l’industrie alimentaire et des boissons, les secteurs du verre et de la céramique. Les meilleures alternatives à court terme au gaz naturel pour ces 4 secteurs et leur potentiel de réduction de la consommation de gaz naturel ont été déterminés et il a été estimé qu’environ un quart de la consommation actuelle pourrait être réduit dans les 5 prochaines années (voir Fig. 1).

Figure 1: Potentiel de réduction à court terme de la consommation de gaz naturel dans 4 points chauds industriels dans le cadre d’un scénario ambitieux d’élimination progressive (TWh de gaz naturel)
Cet article évalue les coûts et les avantages de la meilleure alternative (avec le potentiel de réduction à court terme le plus élevé pour l’utilisation du gaz naturel) dans trois de ces secteurs : l’alimentation, les produits chimiques et le verre.
L’évaluation est basée sur :
- une analyse documentaire et un examen des projets pilotes existants afin d’évaluer les OPEX et CAPEX réels pour ces alternatives, ainsi que la période de retour sur investissement
- une comparaison de ces chiffres avec ceux du processus actuel basé sur le gaz pendant la durée de vie de l’installation, dans deux scénarios différents de prix de l’énergie
L’étude détaillée présente également plusieurs fiches d’information sur des projets pilotes dans lesquels des solutions de remplacement du gaz naturel ont été mises en œuvre. Ces fiches comprennent des informations sur le contexte d’investissement, les CAPEX et OPEX et le temps de retour sur investissement de ces projets.
Principales conclusions
Secteur alimentaire
Dans le secteur alimentaire, les pompes à chaleur à basse température (c’est-à-dire inférieure à 100°C) présentent le plus grand potentiel à court terme pour réduire la consommation de gaz naturel. En effet, elles sont capables de répondre aux besoins de nombreux processus de l’industrie alimentaire : séchage, cuisson, chauffage/refroidissement de l’eau (par exemple, l’eau de lavage), chauffage/refroidissement de la vapeur (par exemple, pour stériliser les produits). La température peut être augmentée grâce à des pompes à chaleur hybrides et des chaudières électriques.
Le coût d’investissement médian pour les pompes à chaleur basse température de 0,5 à 5 MWth est de 400 € par kilowatt thermique et par an, ce qui donne 8 000 € par kw pendant les 20 ans de sa durée de vie, soit 8 millions d’euros pour une installation de 1 MW. C’est environ 3 fois plus cher que les chaudières à gaz ordinaires en termes d’investissements initiaux.
En revanche, comme les pompes à chaleur consomment 3 à 7 fois moins d’énergie que les chaudières à gaz, leurs coûts de combustible sont beaucoup plus faibles. Par conséquent, l’avantage de passer des chaudières à gaz naturel aux pompes à chaleur à basse température dépendra essentiellement de la différence proportionnelle entre les prix du gaz et de l’électricité. Selon les prévisions envisagées pour les prix de l’électricité et du gaz (voir l’étude pour plus de détails) et en considérant une durée de fonctionnement annuelle de 6400h, le coût du combustible d’une PAC à basse température est d’environ 200€/kWth/an, tandis que pour le gaz, il est d’environ 500€/kWth/an (y compris un coût du CO2 de 200€/kWth/an).
Dans l’hypothèse d’une hausse des prix de l’énergie (voir l’étude pour plus de détails), les dépenses en combustible s’élèvent respectivement à 480 et 1580 €/kWth/an pour les pompes à chaleur et les chaudières à gaz. La plus grande résistance des pompes à chaleur à l’augmentation des prix de l’énergie est donc un avantage clé par rapport aux chaudières à gaz.
Parmi les projets pilotes, citons l’usine de Rødkærsbro, propriété de la coopérative laitière scandinave Arla, qui transforme principalement du lait cru pour en faire du fromage. Une pompe à chaleur d’une capacité de chauffage de 1,5 MWth et d’une capacité de refroidissement de 1 MWth a été installée dans les locaux en 2014. Pour ce projet particulier, les dépenses d’investissement ont été de 5,5 millions d’euros pour une durée de vie de l’équipement de 20 ans et les coûts d’exploitation et de maintenance s’élèvent à 4 €/MWhth. Ce projet a bénéficié d’une subvention à l’investissement de 1,2 million d’euros. L’installation de la pompe à chaleur permet d’économiser 16 010 MWh et 2980 tonnes de CO2 par an. Avec ces économies d’énergie et la subvention d’investissement initiale, l’installation de la pompe à chaleur est devenue rentable après 6,1 ans.

Secteur chimique
En ce qui concerne les procédés consommateurs d’énergie dans le secteur chimique, les pompes à chaleur et les chaudières électriques sont les alternatives qui présentent le plus grand potentiel de réduction de la consommation de gaz naturel à court terme. Cependant, les besoins en température plus élevés que dans le secteur alimentaire peuvent représenter un obstacle à l’utilisation des pompes à chaleur dans l’industrie chimique. Les pompes à chaleur à haute température (HT HP) constituent une technologie émergente (actuellement capable de produire de la chaleur jusqu’à environ 200°C) et peuvent répondre en partie à ce défi.
En raison de la moindre maturité de cette technologie, les dépenses d’investissement restent nettement plus élevées que pour la chaudière à basse pression, soit environ 22 040 € par kW thermique. Une plus grande pénétration du marché devrait contribuer à faire baisser le coût de cette technologie. Parmi les exemples de HP HT existants, la société belge Qpinch fabrique des pompes à chaleur chimiques à haute température capables de récupérer jusqu’à 50 % de la chaleur de traitement des déchets et de la convertir en chaleur de traitement à 230°C.
Les projets pilotes pour cette technologie comprennent la centrale Borealis de Zwijndrecht où une chaudière HT de 1,3 MWth a été installée en 2021 pour récupérer la chaleur résiduelle de la centrale. Cette chaudière HT consomme 50 kW d’électricité pour produire 1,3 MWth de chaleur utile. Le CAPEX est de 2,6 M€ pour une durée de vie de 20 ans. Dans ce cas, la période de retour sur investissement a été évaluée entre 3 et 5 ans. Cette chaudière HT permet de réduire la consommation annuelle de gaz naturel de 10 600 MWh et les émissions annuelles de CO2 de l’usine de 2 200 tonnes.
Secteur du verre
Dans le secteur du verre, l’électrification directe (par exemple, les fours électriques) représente la meilleure alternative à court terme au gaz naturel. L’électrification partielle des lignes existantes, appelée boosting électrique, consiste à introduire des électrodes dans le bain de verre tout en conservant les brûleurs à gaz existants. Elle présente l’avantage de ne pas nécessiter de nouvelle installation et d’être relativement facile à mettre en œuvre sur les lignes existantes, ce qui en fait la solution la plus simple à court terme. À plus long terme, les fours entièrement électriques ou les fours hybrides couplés à l’hydrogène deviendront une solution viable. Le rapport entre le gaz et l’électricité peut alors être adapté pour maximiser l’utilisation de l’électricité tant que le verre produit conserve la même qualité.
Les fabricants de verre d’emballage disposent déjà d’un système d’alimentation électrique dans leurs lignes de production et font varier la proportion d’électricité entre 5 et 15 % en fonction du prix de l’énergie. AGC électrifie ses usines depuis 2020. Il y a un an, l’entreprise a ouvert sa première usine hybride en Belgique. Pour atteindre la température nécessaire, elle utilise actuellement 90 % de gaz et 10 % d’électricité. Toutefois, l’objectif est d’augmenter autant que possible l’utilisation de l’électricité grâce à des résistances. Pour ce projet, AGC a bénéficié de subventions du gouvernement belge couvrant 30 % du CAPEX.
Perspectives
Le présent article se concentre sur les différences entre les coûts d’investissement et les coûts des combustibles lors du passage des procédés à base de gaz à des solutions alternatives. Du point de vue de l’industrie, l’équilibre entre les coûts et les bénéfices est en effet très important pour éclairer les décisions d’investissement. Cependant, d’autres éléments qui n’ont pas été pris en compte ici doivent également être intégrés dans le processus de décision : contrats d’achat d’énergie à long terme, durée de vie restante des installations existantes, capacité de transport ou de distribution d’électricité suffisante au niveau de l’usine considérée,… Il s’agit de facteurs clés pour un passage réussi du gaz naturel à l’électricité, qui ne doivent pas être négligés.
Un autre élément à garder à l’esprit est que la comparaison des coûts entre les processus basés sur le gaz naturel et les alternatives est basée sur les prévisions actuelles des prix de l’énergie, principalement basées sur l’observation des marchés futurs des matières premières. Or, ces marchés ne reflètent pas la totalité de l’électricité vendue ou achetée (par exemple, sur les marchés day-ahead ou intraday). En outre, des discussions sont actuellement en cours au niveau de l’UE pour contrôler l’augmentation du prix de l’énergie. L’une d’entre elles concerne une proposition visant à plafonner le prix de l’électricité sur le marché spot (day-ahead ou intraday) en fixant des prix maximums en fonction de la technologie de production. Ces éléments incitent à la prudence lors de la comparaison des solutions basées sur le gaz naturel et des alternatives basées uniquement sur les prévisions de prix, car celles-ci présentent actuellement un niveau élevé d’incertitude.
Enfin, l’étude mentionne également un ensemble d’outils de subvention disponibles pour aider les entreprises à mettre en œuvre des alternatives au gaz naturel dans leurs processus. De nombreux projets pilotes mentionnés dans l’étude ont bénéficié de ces subventions, ce qui contribue à réduire la période d’amortissement de ces investissements. Pour faciliter le processus d’abandon progressif de l’utilisation du gaz naturel dans l’industrie de l’UE, il est important que les entreprises soient au courant des programmes de soutien existants qui pourraient contribuer à rendre rentables les investissements dans des solutions de remplacement du gaz naturel.
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« Ce projet a été soutenu par la Fondation européenne pour le climat. La responsabilité des informations et des points de vue exposés dans cette analyse incombe aux auteurs. La Fondation européenne pour le climat ne peut être tenue responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations contenues ou exprimées dans cette analyse. »
[1] AIE : Un plan en 10 points pour réduire la dépendance de l’Union européenne à l’égard du gaz naturel russe
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